
Au début des années 2010, les comics X-Men ont pris un tournant radical, les intrigues se sont politisées, avec l’isolement sur l’île d’utopia. Le traitement se fait plus adulte, plus sombre et gore comme en témoigne la série X-Force de Kyle, Yost et Crain de 2008. Les X-Men se sont progressivement éloignés de leur idéal d’éducation et d’enseignement pour devenir une milice focalisé sur la survie des mutants. Il était temps qu’un auteur rappelle, à tout ce petit monde, les fondamentaux des X-Men.
Et cet auteur c’est Jason Aaron. Ce jeune scénariste connaît bien le personnage de Wolwerine dont il écrit régulièrement les aventures. En 2011 il consomme le divorce entre Cyclope, transformé en général d’une armée désespérée, et Wolverine qui se morfond de voir de jeunes mutants devenir des soldats sans cause à défendre que celle de leur propre survie. Dans la foulée il crée la série Wolwerine and the X-Men qui va réconcilier les fans de la première heure avec les comics X-Men.

Malgré son titre qui laisse à penser que le mutant griffu va occuper le devant de la scène. Il n’en est rien. Aaron, en bon chimiste, va mélanger tous les ingrédients qui ont fait le succès des X-Men par le passé. Sa recette prend le contre-pied de la production de comics de l’époque. Sa série sera colorée, le ton sera irrévérencieux et pétillant, l’atmosphère se veut rafraîchissante et pop, l’ambiance optimiste et tournée vers l’avenir.

Aaron n’oublie pas pour autant que la marmite dont il se sert pour construire son récit n’était pas vide. Ainsi ses X-Men s’embarquent dans l’aventure de l’institut Jean Grey avec leur passif, leurs traumatismes dus à leur carrière de super-héros et leur angoisse légitime à l’idée de diriger une école de mutants. Nombreux sont ceux qui ont critiqué le choix de placer Logan à la tête de cette école en oubliant que cela faisait des années que le mutant le plus populaire de l’univers Marvel faisait office de mentor à de jeunes coéquipières telles que Kitty Pride ou Jubilee. La capacité d’Aaron a créé sa propre mythologie tout en conservant l’essence de ses personnages est bluffante. Mais le tour de force de la série ne s’arrête pas là.

Aaron parvient à mélanger dans son festin plusieurs ingrédients qui évoquent les plus grandes heures de la franchise. Ainsi les décors des différentes aventures, que ce soit la terre sauvage, le cirque maléfique ou bien évidemment l’institut, remémorent les épisodes du début des années 80 signé par Chris Claremont et John Byrne. Le retour a une volonté d’éducation et d’enseignement fait penser aux séries Generation X de Scott Lobdell et Chris Bachalo, qui officie aussi sur les premiers numéros de la série d’Aaron, mais aussi au run, plus clivant, de Grant Morrison au début des années 2000. Enfin par l’esprit de famille, la complicité qu’il instaure entre ses personnages et l’interconnectivité qu’il parvient à conserver avec le reste de l’univers Marvel l’écriture d’Aaron fait penser à celle de Scott Lobdell durant son run sous-estimé au milieu des années 90 mais avec plus une plume concise et dépouillée des artifices de narration désuet.

Car Aaron n’ignore pas qu’il ne dispose que de très peu de temps pour mener à bien son projet, entre les différents crossover et les manœuvres éditoriales douteuses, il sait que son temps est compté. Aussi décide-t-il d’aller à l’essentiel. Ses dialogues seront concis, ses intrigues ne trainent pas en longueur et il ne s’éparpille pas dans son propos. Un propos qui n’a rien d’original en soi car il s’agit encore et toujours de raconter le passage de l’adolescence à l’âge adulte.

Toute la série, qui compte 42 numéros, peut être vue comme une immense crise d’adolescence. Mais comme il s’agit de mutants cette crise ne ressemblera à aucune autre. Les élèves de ce nouvel institut devront apprendre à accepter leur nature, le monde dans lequel ils vivent, les principes d’éducation que l’on tente de leur inculquer et aussi qu’ils ne sont pas très différents des adultes qui composent le corps professoral. Ceux-ci, très présents dans les premiers numéros, laissent petit à petit leur place aux élèves qui doivent s’en remettre à eux-même pour défendre les valeurs que l’on leur a enseignées. Évidemment avec un tel propos, la série ne peut connaître qu’une fin ouverte, résolument optimiste mais quelque peu douce amère pour le lecteur car, une fois la dernière page du dernier numéro tourné, celui-ci à bien conscience qu’il n’est pas prêt de relire une aventure aussi réjouissante que celle-ci.

Pour la partie graphique Aaron se verra attribuer deux artistes principaux, sans compter quelques remplaçants de dernière minutes ici et là. Il s’agit de Chris Bachalo et Nick Bradshaw. Les deux ont un style dynamique et pop qui repousse les codes de la narration visuelle. Si Bachalo est le spécialiste des morphologies démesurées et des pleines pages, véritables uppercuts visuels, j’avoue avoir une préférence pour le trait de Bradshaw, plus figé mais dont les cases regorgent de détails qui transforment chaque numéros en banquet pour les yeux. Grâce à lui jamais une école pour mutants n’a paru aussi vivante, grouillante d’idées et de personnalité, pétillante d’humour et d’amour pour les comics X-Men.

À noter que la série connaîtra une seconde vie sous la plume de Jason Latour. Un second volet dispensable dont les dialogues tournent à vide alors que l’intrigue se perd dans les limbes temporels. 12 numéros qui détruisent ce qu’Aaron avait bâti pendant quatre ans. Un bien triste chant du cygne.

En 42 numéros, réunis en 4 volumes par Panini, Jason Aaron est parvenu à concocter un festin mutant réjouissant. Une lettre d’amour à la franchise et ses racines. Le tout sans jamais verser dans l’hommage pompeux mais en racontant sa propre histoire sur de jeunes adolescents qui vont devoir apprendre à grandir dans un monde qui ne leur fera pas de cadeaux. L’une des meilleures séries X-Men jamais écrites.

Wolwerine and the X-Men est une série écrite par Jason Aaron et dessiné par Chris Bachalo et Nick Bradshaw publié pour la première fois en décembre 2011 et dont le dernier numéro paraît en avril 2014. Disponible en quatre volume hardback chez panini comics.