Le cinéaste nous offre un drame puissant, mêlant western et enquête policière, sur les terres des Osages. Les performances de De Niro et DiCaprio sont dignes d’un Oscar.
De notre envoyée spéciale à Cannes

Les applaudissements nourris résonnent à la fin du générique de « Killers of the Flower Moon ». La projection cannoise réservée à la presse du nouveau film de Martin Scorsese, dans la salle Debussy du palais des Festivals, se termine par une ovation chaleureuse après près de trois heures et demie d’immersion implacable dans une grande fresque criminelle qui marquera sans doute les esprits.
Basé sur un roman « true crime » de David Grann publié en 2017 (Killers of the Flower Moon: Oil, Money, Murder and the Birth of the FBI, traduit en français sous le titre La Note américaine), le scénario coécrit par Eric Roth et Scorsese aborde une tragédie authentique : celle d’une série de meurtres non résolus qui ont secoué la communauté amérindienne des Osages dans les années 1920, en Oklahoma.

Le tout nouveau Bureau of Investigation (BOI), qui deviendra bientôt le Federal Bureau of Investigation (FBI) dirigé par J. Edgar Hoover, envoie plusieurs enquêteurs sur place, dont les recherches se dirigent rapidement vers William Hale (interprété par Robert De Niro), un notable influent de la région. Hale, un éleveur de bétail proche des Osages, est soupçonné d’organiser depuis des années un système odieux de spoliation et de meurtres des natifs afin de s’approprier leurs revenus pétroliers.
Produit pour 200 millions de dollars par Apple et distribué en salles par le studio Paramount, ce blockbuster historique est un requiem-hommage à la nation osage et à l’ensemble du peuple amérindien. Il rejoint dès maintenant les rangs des grands films hollywoodiens qui mettent en lumière l’une des périodes les plus sombres de l’histoire des États-Unis.
Dans un mélange d’univers à la fois proches de Michael Cimino, Paul Thomas Anderson, Peckinpah et Leone, « Killers of the Flower Moon » se concentre sur la relation entre Ernest Burckhart (incarné par Leonardo DiCaprio), neveu de William Hale, et sa riche épouse osage, Molly (jouée par Lily Gladstone). Leur patrimoine suscite la convoitise du vieil Hale, donnant lieu à un drame captivant.

recouvrent les prairies chaque mois de mai pendant les grandes lunes, évinçant les violettes et les bleuets de plus petite taille. Cette métaphore poétique reflète la manière dont la culture indienne a été étouffée et les terres des natifs se sont retrouvées entre les mains des colons lors de la conquête de l’Ouest.
Dans « Killers of the Flower Moon », ce meurtre à petit feu des Indiens osages, déplacés de force de leurs terres dans les vallées de l’Ohio et du Mississippi pour s’installer en Oklahoma à la fin du XIXe siècle, prend une ampleur systémique et machiavélique.
Après la découverte de pétrole sur leurs nouvelles terres en 1894, les tribus osages attirent une horde de spéculateurs et de représentants de compagnies à qui elles louent leurs gisements. Malgré leur nouvelle richesse, les Osages sont placés sous tutelle des autorités qui contrôlent étroitement leur patrimoine, en profitant au passage.
Dans le film, William Hale, qui a accumulé sa fortune en exploitant les terres louées par le peuple osage, pousse son neveu Ernest à épouser la belle native Molly. Il orchestre ensuite méthodiquement la mort des proches de Molly pour s’assurer de l’héritage de leurs biens.
Les performances de De Niro et DiCaprio dans leurs rôles respectifs sont véritablement dignes d’un Oscar. « Killers of the Flower Moon » explore une zone morale trouble où la vilenie et la cupidité se manifestent sous des visages humains, ajoutant une dimension ambiguë au film.

Au début du récit, William Hale se présente comme un parrain bienveillant, parlant la langue osage et se faisant passer pour un ami des clans de l’Oklahoma. Malgré ses paroles sincères sur la beauté du peuple osage, il orchestre néanmoins des meurtres crapuleux. Robert De Niro, dans un rôle de mafieux mystérieux, incarne Hale d’une manière captivante et indéchiffrable. Leonardo DiCaprio joue le rôle d’Ernest, un homme faible et opportuniste, qui est à la fois méprisable et touchant. Scorsese livre un drame puissant, entre western et enquête policière, qui explore les terres des Osages et met en lumière l’histoire sombre des États-Unis. Le film aborde le meurtre systématique des Indiens osages et les conséquences de la conquête de l’Ouest. Scorsese élargit sa vision pour raconter les fondations de l’Amérique, avec une reconstitution historique précise et une exploration de thèmes tels que la fin de l’Ouest, l’assimilation des Amérindiens et la justice fédérale émergente.
Avec une bande son marquée par un duo percussion-basse lancinant et des mélodies de vieux blues envoûtantes supervisées par le compositeur Robbie Robertson, Killers of the Flower Moon adopte le rythme d’une marche funèbre. Même la victoire de la justice, avec l’arrestation, le jugement et l’emprisonnement de Hale et Burckhart, laisse un goût amer.
La caméra, sobre et impériale, capture des plans somptueux, tels que l’arrivée d’un train à locomotive à Fairfax ou un dézoomage sur un vaste champ de puits de pétrole. Martin Scorsese livre un grand spectacle rigoureux et exigeant, filmé du point de vue du peuple osage à travers le personnage émouvant de Molly, interprété avec force par Lily Gladstone.
Présenté hors compétition à Cannes, selon le souhait de Scorsese, Killers of the Flower Moon sortira en salle le 18 octobre prochain. Espérons que ce récit cinématographique éblouissant séduira un large public.
