Le silence selon Manon de Benjamin Fogel

Des soucis et des hommes

Le combat des femmes pour leurs droits dans la société n’a jamais été aussi central et critique. Il a divisé la société en deux pôles qui semblent irréconciliables. Benjamin Fogel s’empare de ce thème complexe pour livrer un polar psychologique futuriste, puisqu’il situe son action en 2025, mais sidérant de réalisme.

Autour du féminisme l’auteur invoque tout un tas de thèmes primordiaux, le masculinisme et le virilisme tout d’abord les penchants néfastes du féminisme, notre rapport naïf aux réseaux sociaux, le phénomène effarant des incels, ces célibataires involontaires qui crachent leurs haines à longueur de tweet, le courant musical du néo straight edge. Un ensemble de thèmes foisonnant servis à la manière d’un reportage.

Le style de l’auteur est en effet très propre, concis mais détaillé, en témoigne ce sommaire qui reprend la présentation d’une fiche wikipédia.
Un ton dépourvu de romanesque mais qui permet au récit de se parer des oripeaux de la réalité.
L’auteur dépeint une société sclérosée par ses dissensions absurdes. Le tableau qu’il en dresse est glaçant de réalisme.

Pourtant, malgré cette plume sèche qui va à l’essentiel, l’auteur parvient à dresser des portraits psychologiques saisissants. Ce qui débutait comme un constat accablant de notre société se transforme petit à petit en une plongée dans la psyché torturée d’un homme, la fin des illusions pour celui qui se rêvait en chevalier blanc du féminisme. L’exposé sidérant prend alors des allures psychose infernale qui renverse le tableau dépeint par l’auteur.

Le silence selon Manon se révèle donc plus sournois et surprenant que son approche un peu scolaire pourrait le laisser l’envisager. Il interroge notre rapport aux réseaux sociaux, nuance les luttes féministes, met à mal la misogynie et dissèque l’esprit des femmes et des hommes pour ne laisser que la criante vérité, la malveillance se dissimule même dans les plus ardents défenseurs de causes les plus nobles.

Résumé : Dans les années 2025, le monde occidental se caractérise par une montée de l’agressivité sur les réseaux sociaux et en particulier des cas de cyber harcèlement, au point qu’une unité spéciale de la police, dirigée par le commissaire Sébastien Mille, a dû être mise en place. Sébastien Mille s’intéresse de près aux manoeuvres des groupes masculinistes en France. L’Amérique du Nord avait déjà connu dans les années 2010 des attentats dont les auteurs se réclamaient du mouvement « incel » (pour «involuntary celibate) »autrement dit des célibataires forcés qui conçoivent une haine des femmes et de la société contemporaine qu’ils jugent trop favorable au féminisme.

Éditeur ‎Editions Payot & Rivages (7 avril 2021)
Langue ‎Français
Broché ‎352 pages
ISBN-10 ‎2743652772
ISBN-13 ‎978-2743652777

L’homme aux lèvres de saphir de Hervé Le Corre

Maldoror, mon amour

Lorsque que l’un des meilleurs auteurs du roman noir français s’empare du genre littéraire du thriller cela donne l’un des meilleurs représentants du genre.

Hervé Le Corre s’amuse avec le genre, si populaire, du thriller pour livrer un récit dense, imprégné d’une puissance narrative rare. L’intrigue de base se résume à une impitoyable chasse à l’homme mais l’arrière-plan historique ainsi que la matière littéraire dans lequel baigne le récit le dote d’une aura qui l’éloigne du tout venant de la production.

Car la plume d’Hervé Le Corre ne fait pas que raconter une histoire, elle immerge le lecteur dans une ambiance, une atmosphère que peu d’auteurs parviennent à retranscrire. Avec Le Corre on entend le bruit des sabots sur les pavés, on sent la crasse d’un Paris du 19ème siècle, on comprend la douleur et la colère de ces personnages qui rêvent d’un monde plus juste. 

Les dialogues ne font que renforcer cette immersion, le Paris communard de Le Corre vibre de ressentiments, grouille de vice et de misère mais il vit sous les yeux du lecteur. Bien plus qu’un simple thriller, le récit se transforme en leçon d’histoire. Un cri d’amour en faveur de la liberté et de la justice.

Loin des étiquettes et des cases dans lesquelles on essaie de faire rentrer les auteurs, Hervé Le Corre bâtit patiemment une œuvre qui fait de lui l’un des meilleurs auteurs français contemporains. 

Résumé : Paris, 1870. Une série de meurtres sauvages semble obéir à une logique implacable et mystérieuse qui stupéfié la police, fort dépourvue face à ces crimes d’un genre nouveau. Le meurtrier, lui, se veut « artiste » : il fait de la poésie concrète, il rend hommage a celui qu’il considère comme le plus grand écrivain du XIXe siècle, Isidore Ducasse, comte de Lautréamont, dont il prétend promouvoir le génie méconnu. Dans le labyrinthe d’une ville grouillante de vie et de misère, entre l’espoir de lendemains meilleurs et la violence d’un régime à bout de souffle, un ouvrier révolutionnaire, un inspecteur de la sûreté, et deux femmes que la vie n’a pas épargnées vont croiser la trajectoire démente de l’assassin. Nul ne sortira indemne de cette redoutable rencontre.

Éditeur ‎Rivages (1 octobre 2004)
Langue ‎Français
Poche ‎512 pages
ISBN-10 ‎2743613092
ISBN-13 ‎978-2743613099

Le carré des indigents de Hugues Pagan

Un flic dans la ville

Voilà le genre de polar que j’aimerais lire plus souvent. Un personnage charismatique, une plume qui rend hommage aux grandes heures du polar et une ambiance digne des meilleurs films noirs.

Écartons d’emblée les attentes par rapport à l’enquête. Celle-ci est rondement menée, détaillée et intéressante mais ne recèle aucune réelle surprise. le cœur du roman est ailleurs

Et ce cœur s’appelle Schneider. Ce flic taciturne et intransigeant hante le roman de son regard pénétrant et de ses phrases lapidaires. Habité par sa mission de justice, il ne laisse personne se mettre en travers de son chemin, ni les criminels ni ses supérieurs. Une immense réussite.

Au-delà d’une simple enquête, le récit est surtout celui d’une équipe d’enquêteurs. L’auteur nous plonge dans leur quotidien de flics des années 70, les personnages secondaires sont tout aussi charismatiques que Schneider. Une tranche de vie d’une époque révolue.

Enfin la plume d’Hugues Pagan a trempé dans l’encrier le plus noir afin de retranscrire le plus fidèlement possible les années 70, son argot et la mentalité des protagonistes. Le tout avec une classe folle et un sens du dialogue savoureux.

Un polar que tous les amoureux de vieux films noirs devraient apprécier.

Résumé : Novembre 1973. L’inspecteur principal Claude Schneider revient dans la ville de sa jeunesse après un passage par l’armée et la guerre d’Algérie dont il ne s’est pas remis. Il aurait pu rester à Paris et y faire carrière, mais il a préféré revenir « chez lui ». Nommé patron du Groupe criminel, il ne tarde pas à être confronté à une douloureuse affaire : Betty, la fille d’un modeste cheminot, n’est pas rentrée alors que la nuit est tombée depuis longtemps. Son père est convaincu qu’elle est morte. Schneider aussi. Schneider est flic, et pourtant, il n’arrive toujours pas à accepter la mort. Surtout celle d’une adolescente de quinze ans au petit visage de chaton ébouriffé. Faire la lumière sur cette affaire ne l’empêchera pas de demeurer au pays des ombres.

Éditeur ‎Rivages (5 janvier 2022)
Langue ‎Français
Broché ‎448 pages
ISBN-10 ‎2743654937

Sur l’autre rive d’Emmanuel Grand

Sur le banc de touche

Ce polar propose bien plus qu’une simple enquête criminelle, il nous plonge dans la psyché de personnages torturés et nous invite à la découverte d’une ville et de ses zones d’ombres, Saint Nazaire.

L’intrigue est narrée d’une plume simple, minutieuse parfois très proche d’un reportage mais cette absence de romanesque permet à l’auteur de brosser une galerie de personnages à la psychologie complexe et nuancée.

Le récit reste passionnant malgré la direction empruntée par l’auteur. Deux flashback tranchent la dynamique de l’enquête pour nous révéler l’ensemble des faits ayant conduit à la mort de Franck. Un choix déroutant qui s’explique par la volonté de l’auteur de détailler la psychologie de ses personnages au mieux.

Au niveau des regrets j’aurais apprécié que les relations envers Julia et sa famille, les raisons de son départ des années plus tôt soient plus étayés et mis en scène mais cela n’enlève rien à la qualité de ce polar.

À l’aide de son style minutieux, Emmanuel Grand brosse le portrait de personnages en souffrance ainsi que d’une ville qui a dû mettre à quai ses rêves de grandeur.

Résumé : Saint-Nazaire, ses chantiers navals, une forêt de silos et de grues, les marais et l’océan à perte de vue, un pont entre deux rives. Pour Franck Rivière, 21 ans, jeune espoir du football local, des rêves plein la tête, c’est aussi la fin du voyage : une chute de 68 mètres et son corps glacé repêché au petit matin. 

Tandis que le capitaine Marc Ferré doute de ce suicide, Julia, la soeur de Franck, brillante avocate « montée » à Paris, se heurte aux vérités d’une ville qui cache mal sa misère, ses magouilles et son pouvoir secret : que le bizness paie peut-être plus que le ballon rond, que Saint-Nazaire ne l’a jamais quittée, et qu’on n’enterre pas aussi facilement un amour d’adolescence.

Éditeur ‎Albin Michel (31 mars 2021)
Langue ‎Français
Broché ‎528 pages
ISBN-10 ‎2226459103
ISBN-13 ‎978-2226459107

La nuit tombée sur nos âmes de Frédéric Paulin

L’abysse capitaliste.

Un récit choc sur un évènement ignoble, le G8 et les manifestations qu’il a entraîné. Lors de cette table ronde des puissants, l’Italie s’est enfoncé dans un abysse de violence sans fond.

Le G8 est un puits de gravité qui attire à lui tout un tas de personnes avec des désirs contradictoires mais qui partage un thème en commun, le pouvoir. Il y a Carli, le fasciste qui exulte de pouvoir exercer son autorité, Lamar qui espère propulser sa carrière politique, et Nathalie et Wag, qui espèrent juste que le pouvoir change de main.

Le style est clair, concis à la manière d’un reportage de guerre. Un rapide portrait des personnages plante le décor puis les pages s’enfilent comme le compte à rebours d’un explosif.

Et lorsque la détonation retentit le récit s’imprègne d’une tension qui ne le quittera plus. La suite du roman se lit d’une traite. La déflagration qui s’empare du lecteur s’accompagne d’un état de sidération à la lecture des faits qui se sont déroulés dans l’école Diaz et la caserne de Bolzenato.

Les faits rapportés par l’auteur sont tellement révoltants et effarants qu’il est difficile de croire qu’ils aient pu être aussi facilement occultés. J’aurais aimé que l’auteur présente une bibliographie afin de pouvoir prolonger la plongée dans cet abysse de noirceur.

Un roman qui laisse un arrière-goût dans la bouche et qui rappelle que dans la vraie vie rare sont les fois où les coupables payent pour leur crime.

Résumé : Les chefs d’État des huit pays les plus riches de la planète se retrouvent lors du G8. Face à eux, en marge du sommet, 500 000 personnes se sont rassemblées pour refuser l’ordre mondial qui doit se dessiner à l’abri des grilles de la zone rouge. Parmi les contestataires, Wag et Nathalie sont venus de France grossir les rangs du mouvement altermondialiste. Militants d’extrême-gauche, ils ont l’habitude des manifs houleuses et se croient prêts à affronter les forces de l’ordre. Mais la répression policière qui va se déchaîner pendant trois jours dans les rues de la Superbe est d’une brutalité inédite, attisée en coulisses par les manipulations du pouvoir italien. Et de certains responsables français qui jouent aux apprentis-sorciers.
Entre les journalistes encombrants, les manœuvres de deux agents de la DST, et leurs propres tiraillements, Wag et Nathalie vont se perdre dans un maelstrom de violence. Il y aura des affrontements, des tabassages, des actes de torture, des trahisons et tant de vies brisées qui ne marqueront jamais l’Histoire. Qui se souvient de l’école Diaz ? Qui se souvient de la caserne de Bolzaneto ? Qui se souvient encore de Carlo Giuliani ?

Éditeur ‎Agullo (9 septembre 2021)
Langue ‎Français
Broché ‎288 pages
ISBN-10 ‎2382460032
ISBN-13 ‎978-2382460030

De si bonnes mères de Céline de Roany, Cachez ce ventre que je ne saurais voir

Un parc naturel en Bretagne, des jeunes femmes retrouvées mutilées, une communauté pleine de secrets et face à eux une enquêtrice revenue de l’enfer prête à tout pour faire la lumière sur cette affaire aux ramifications insoupçonnées.

La nouvelle enquête de Céline est solide et palpitante. L’autrice maîtrise la notion de suspens. L’enquête se suit avec plaisir, les mystères s’accumulent ainsi que les fausses pistes. Mais il en faut plus pour décourager Céleste Ibar, une enquêtrice qui ne s’en laisse compter par personne. 

Un personnage qui est à la limite de ces clichés de femmes flic badass et déterminées que l’on rencontre un peu partout dans le polar en ce moment mais l’autrice parvient à faire d’elle un véritable personnage consistant. Un personnage sauvé par son dévouement aux victimes, sa complicité avec ses collègues et sa famille moderne et aimante. 

Le seul reproche que je pourrais faire à l’ouvrage est un étirement de l’intrigue. Surtout vers la fin avec une énième péripétie qui place Céleste dans une situation délicate vue et revue et qui alourdit l’intrigue sans apporter grand-chose. Tout ça pour mener à une conclusion expédiée. Un final décevant qui apporte toutes les réponses aux questions mais sans LA scène qui aurait dû apporter le climax haletant auquel on serait en droit de s’attendre.

De si bonnes mères est un polar convaincant qui va vous faire passer un joli moment de lecture. Je regrette juste que l’intrigue se perde dans des retournements de situation dispensable au lieu d’offrir un véritable final.

Résumé :

Dans le parc régional de Brière, où vit une petite communauté soudée autour d’un restaurant et d’un bistrot, se cache un criminel au sang froid qui mutile des femmes enceintes. Dépêchés sur les lieux, Céleste Ibar et son fidèle lieutenant sauront-ils déchiffrer les signes laissés par le tueur ?

Céleste Ibarbengoetxea, capitaine à la PJ de Nantes. Un nom imprononçable. Un visage balafré. Un passé terrible : séquestrée et martyrisée, elle a survécu en faisant preuve d’une violence inhumaine. Depuis, pour certains comme à ses propres yeux, Céleste Ibar est un monstre. C’est pourtant parce qu’elle est une épouse aimante, une mère attentive et une collègue dévouée qu’elle va résoudre l’une de ces tragiques affaires criminelles qui marquent un flic à jamais.

Éditeur ‎Presses de la Cité (31 mars 2022)
Langue ‎Français
Broché ‎474 pages
ISBN-10 ‎225819606X
ISBN-13 ‎978-2258196063

Le chat qui ne pouvait pas tourner d’Anne Dhoquois, Un flic dans la brume

Paris, des femmes retrouvées sauvagement poignardées, un flic désabusé et alcoolique, un résumé qui fait penser à des centaines d’autres polars déjà présents en librairie et c’est bien le problème de ce premier polar.

La première enquête de David Sterling, bien que de facture honnête dans son ensemble, souffre de deux défauts qui ne sont en rien rédhibitoires mais qui empêcheront tout amateur de polar de lui trouver un quelconque intérêt. Dès les prémices de l’enquête, le lecteur comprend qu’il est face à un polar d’un classicisme absolu. Un classicisme qui n’a rien de déméritant en soi mais dont il aurait fallu parvenir à se détacher afin de proposer quelque chose de plus original, qui aurait permis au récit de se démarquer du reste de la production littéraire policière.

Le second défaut tient surtout au portrait du capitaine Sterling trop scolaire pour être vraiment convaincant. Un flic solitaire, à la belle gueule fatigué, désabusé par la société dans laquelle il ne fait que passer pour ramasser les pires horreurs, captif d’une colère dont il ignore l’origine et légèrement alcoolique. Une description qui, sans être honteuse, correspond à des dizaines d’autres personnages de roman et à laquelle l’autrice ne parvient pas à donner une réelle consistance malgré ses efforts louables.

Ces défauts n’empêchent pas de passer un bon moment. L’intrigue se suit sans déplaisir à travers des chapitres rythmés, des suspects et des fausses pistes jusqu’à un final malheureusement prévisible. La conclusion est à la hauteur du récit, sans originalité mais honnête dans sa proposition.

Un polar à réserver aux lecteurs curieux de découvrir le genre. Mais dont le côté classique et scolaire empêchera tout autre lecteur plus assidu d’y trouver son compte.

Résumé : David Sterling est capitaine de police au 3e DPJ de Paris. Chef d’enquête pour le meurtre d’une jeune femme tuée à l’arme blanche sur les berges de la Seine, il pressent dès le départ une affaire hors du commun. La suite des événements va lui donner raison. Les meurtres de femmes s’enchaînent, tous commis dans des arrondissements de la rive gauche, le territoire du 3e DPJ. Est-ce un hasard ? Au capitaine et à ses lieutenants de percer le mystère, de fausses pistes en rebondissements, qui mettront Sterling à rude épreuve. Enquêteur renommé, instinctif, séducteur et torturé…et si le chat qui ne pouvait pas tourner, c’était lui ?

ASIN ‎B09NPDYHCR
Éditeur ‎Les Arènes (17 mars 2022)
Langue ‎Français
Broché ‎317 pages
ISBN-13 ‎979-1037505859

Le goût du rouge à lèvres de ma mère de Gabrielle Massat, Walk on the wild side

Lorsqu’on est lecteur boulimique de polar comme moi on a tendance à croire que tout a été fait, que surprendre le lecteur est une tâche impossible. Avec son premier polar Gabrielle Massat nous prouve que tout est encore possible. Une sacrée bonne leçon pour le lecteur blasé que je suis.

Arrêtons nous d’abord sur ce qui constitue l’atout majeur du récit, le personnage principal, Cyrus Colfer. Son portrait psychologique est profond, ciselé et parsemé de nuances. Tiraillés entre son orgueil de malvoyant, son complexe d’Électre, sa morale ambivalente et sa volonté de faire ses preuves, on tient là un personnage marquant, rendu attachant par ses failles. Tant mieux car il va nous accompagner durant toute notre plongée dans les méandres de San Francisco.

La célèbre ville prend une autre couleur dans le récit, plus sombre, d’un rouge sale, comme celui que les filles de joie étalent sur leur joue après une altercation avec leur proxénète. Le décor idéal pour ce polar au contexte mafieux très fouillé, très documenté sur l’histoire mafieuse de la ville. Des personnages secondaires à la psychologie très bien étudiée complètent le tableau. 

L’autrice n’a pas misé uniquement sur ces personnages où son décor, l’intrigue réserve quelques surprises, comme la manière dont Cyrus s’immisce dans l’enquête. Une maîtrise narrative qui fait oublier la révélation prévisible sur l’identité du tueur tant le reste de l’intrigue recèle son lot de coups de théâtre.

Avec un ton acide et une bonne dose d’humour noir, l’autrice s’est d’ores et déjà taillé la part du lion dans le monde très compétitif du polar. Je n’ai qu’une seule hâte qu’elle en écrive un autre tout aussi jouissif.

Résumé : Qui a assassiné Amy Colfer, proxénète notoire ? Telle est la question qui ne cesse de hanter son fils, Cyrus, depuis une quinzaine d’années. Un nouveau meurtre relance le cold-case. Le jeune homme décide alors de revenir à San Francisco, dans le milieu interlope qui était le sien. Guidé par une soif de vérité et de vengeance, Cyrus Colfer – mi-truand, mi-indic – mène l’enquête de son côté, avec détermination. À un détail près : il est devenu aveugle.

Éditeur ‎Points (10 juin 2021)
Langue ‎Français
Poche ‎528 pages
ISBN-10 ‎2757888080
ISBN-13 ‎978-2757888087

Je suis le feu de Max Monnehay, une âme de cendres


Il y a des formules, des modèles de narration qui ont fait leurs preuves et qui continuent de fonctionner auprès du lectorat, l’un d’entre eux consiste à dresser le portrait d’un personnage meurtri par la vie, l’âme percluse de multiples traumatismes. L’autrice Max Monnehay l’a très bien compris et signe un agréable polar, second volume des enquêtes de Victor Carrene.

Le personnage du psychologue Victor Carrene soutient le récit tout entier. Il est la source à laquelle s’abreuve l’intrigue principale mais aussi toutes les sous-intrigues du récit, il est le baril de poudre qui vient se frotter à l’allumette. Sa caractérisation se devait d’être convaincante. C’est le cas. Ancré dans la tradition des détectives dur à cuire, aimant à ennuis et punching-ball à voyous, ce personnage entraîne le lecteur dans une escapade Rochelaise digne des meilleurs romans noirs.

Son portrait psychologique crédible et soigné tranche avec les personnages secondaires un peu plus caricaturaux. Ainsi son entourage professionnel paraît un peu plus fade et moins agréable à suivre. Cela n’enlève rien au plaisir que l’on prend à le suivre dans son périple à travers La Rochelle surtout grâce au rythme infernal que l’autrice impose à son récit. Les interactions avec sa famille sont beaucoup plus touchantes et pertinentes, à tel point que l’on prend à espérer une présence plus importante du cercle familial dans les prochaines enquêtes de ce psychologue atypique.

Les traditionnels passages consacrés à l’assassin font l’effort de ne pas être redondant et donnent du corps à cette série de crimes odieux. L’autrice est parvenue à décrire un monstre crédible, complexe sans trop s’appesantir non plus sur sa psyché. La traque reste la priorité du récit.

Alors que je voyais le récit se diriger vers une conclusion peu originale, l’autrice est encore parvenue à me surprendre à l’aide de quelques feintes narratives qui achèvent de me convaincre que l’on tient là une plume prometteuse même s’il faudrait creuser le portrait des personnages secondaires.

Résumé : La Rochelle, mois de juillet. Une femme est retrouvée égorgée chez elle face à son fils de dix ans ligoté, qu’un bandeau et un casque audio ont préservé de l’intolérable spectacle. C’est la deuxième en l’espace de quelques semaines et les flics n’ont pas la moindre piste. Le commissaire Baccaro va alors faire appel à Victor Caranne, psychologue carcéral et oreille préférée des criminels multirécidivistes de la prison de l’île de Ré. Mais le tueur est une ombre insaisissable qui va bientôt faire basculer la ville dans la psychose.

Éditeur ‎SEUIL (4 mars 2022)
Langue ‎Français
Broché ‎400 pages
ISBN-10 ‎2021488136
ISBN-13 ‎978-2021488135

Après la guerre d’Hervé Le corre, Bordeaux dans tout ses états

Bien plus qu’un récit sur l’après-guerre, ce roman noir est aussi un pamphlet sur la guerre et sur les âmes qui s’y trouvent mêlées. À travers le portrait de trois personnages, l’auteur évoque trois parcours et trois manières de vivre durant la guerre, y participer, en profiter ou en être victime.

Commençons par le parcours de Daniel, celui qui m’a le plus posé problème. Non pas que la qualité ne soit pas présente mais je ne m’attendais pas à ce que la guerre d’Algérie soit aussi présente dans le récit. J’ai eu du mal à m’intéresser à l’enfer vécu par ce jeune homme, si jeune mais déjà si vieux mentalement. Il m’a fallu saisir le propos de l’auteur sur la guerre pour finalement appréhender cette partie du récit.

Ensuite il y a André, le survivant, celui qui a tout perdu et qui revient la rage au ventre, hanté par les souvenirs d’un autre enfer. L’auteur soigne le portrait de ce personnage complexe tout en nuances, un fantôme déshumanisé qui ne retrouve qu’une pâle lueur de clémence que trop tard pour lui-même.

Enfin vient le portrait le plus consistant. L’un des personnages les plus sombres, les plus abjects qu’il m’a été donné de lire. Une âme souillée par sa haine instinctive de son prochain, sa jalousie médiocre et sa rage meurtrière, j’ai nommé le commissaire Darlac. Un personnage qui, sous une plume moins travaillée et minutieuse, aurait pu être simplement détestable mais dont l’aura nauséabonde suinte des pages de l’ouvrage et constitue le pilier du récit. Un bloc de noirceur ciselé que l’on ne peut haïr tellement il est stupéfiant de cruauté.

Ces trois portraits sans concessions se trouvent encadrés par une description lugubre et souillée de la ville de Bordeaux, qui ressemble plus à un égout à ciel ouvert qu’à une capitale régionale. Un sombre écrin pour un récit qui ne l’est pas moins.

Résumé :

Bordeaux dans les années cinquante. Une ville qui porte encore les stigmates de la Seconde Guerre mondiale et où rôde l’inquiétante silhouette du commissaire Darlac, un flic pourri qui a fait son beurre pendant l’Occupation et n’a pas hésité à collaborer avec les nazis. Pourtant, déjà, un nouveau conflit qui ne dit pas son nom a commencé : de jeunes appelés partent pour l’Algérie.

Daniel sait que c’est le sort qui l’attend. Il a perdu ses parents dans les camps et est devenu apprenti mécanicien. Un jour, un inconnu vient faire réparer sa moto au garage où il travaille. L’homme ne se trouve pas à Bordeaux par hasard. Sa présence va déclencher une onde de choc mortelle dans toute la ville. Pendant ce temps, d’autres crimes sont commis en Algérie…

Éditeur ‎Editions Payot & Rivages (12 mars 2014)
Langue ‎Français
Broché ‎523 pages
ISBN-10 ‎2743627263
ISBN-13 ‎978-2743627263